Courants islamiques au Cameroun

UN SURVOL HISTORIQUE À REBOURS

DES COURANTS ISLAMIQUES PRÉSENTS AU CAMEROUN

 

Je vous invite à faire ensemble un petit survol historique à rebours des différents courants islamiques présents au Cameroun, en regardant leurs origines, leurs racines et leurs caractéristiques. Je parle bien du Cameroun et non de l’ensemble de l’Afrique Centrale que je connais mal. Mais je soupçonne que les mêmes courants traversent l’ensemble de notre sous-région. J’ai bien dit aussi un survol historique à rebours. Nous partons du présent vers le passé. Cela nous aidera à comprendre « qu’il y a peu de choses nouvelles sous le soleil ». Les mêmes courants nous reviennent avec des noms différents, des stratégies différentes, des moyens mis en œuvre différents, mais avec le même fond idéologique.

Commençons par le courant islamique qui menace une bonne partie de notre sous-région (surtout le Cameroun et le Tchad), ce courant « Jihadiste violent » qui se nomme depuis mars 2015, lors de son allégeance à l’Etat islamique, « Etat islamique au Magreb » (ancien Boko Haram, même si son vrai nom était « Groupe sunnite pour la prédication et le jihad »).  Je vous fais grâce des repères historiques de ce mouvement que vous connaissez tous, pour essayer de comprendre ses racines.

Souvent nous entendons dire que ce « jihadisme terroriste n’est pas l’islam »  donc qu’il serait quelque chose d’extérieur à l’islam. Nous ne pouvons plus accepter un tel langage. Ce serait une manière trop facile pour nos frères  musulmans d’éviter de s’interroger de manière critique sur leur propre pensée. L’ensemble des mouvements jihadistes (Al Qaïda, al Shabâb, Aqmi, Boko haram, Daech) ne surgissent pas de rien. Ils ne sont pas seulement le résultat de réactions à de frustrations sociales. Le jihadisme contemporain a bel et bien ses racines intellectuelles et religieuses au cœur de l’islam contemporain. Ce n’est pas l’islam comme tel, mais sa double version, la première celle de l’islam puritain et rigoriste des salafistes que nous verrons ci-dessous et la seconde, celle de l’islam politique, dont les frères musulmans,  fondés en Egypte en 1928 par Hasan al-Banna sont une des composantes, qui sont saisis par l’idée qu’un état musulman ferait revivre l’islam et le monde musulman. Ce sont ces deux versions de l’islam qui constituent les racines, le bouillon de culture de la pensée et de l’action jihadistes.

Précisons : ces deux grandes matrices ne prêchent pas dans leur ensemble le jihadisme, elles s’y opposent même dans leur ensemble. Seules des fractions minoritaires de ces mouvements iront vers le jihadisme. Mais ces deux courants alimentent le terreau des idées, des visions du monde, du cadrage de la pensée d’où naîtront les jihadistes.

La première racine des jihadismes  se trouve dans les mouvements qui visent à revigorer l’islam par un piétisme rigoriste, par le respect des rites et des normes morales, en suivant à la lettre les préceptes fondateurs contenus dans les textes du Coran et de la Tradition du prophète. Ce sont les courants dits « Salafistes » donc les Saoudiens ont été les propagateurs attitrés (mais pas question de sanctions à leur égard, au contraire, ils sont courtisés et protégés par l’occident !!).

 

Le drame du monde musulman sunnite contemporain est que depuis 40 ans, ces deux courants de l’islam se sont répandus dans la culture savante et les croyants ordinaires. Elles ont saturé le monde musulman où les autres voix de l’islam sont devenues inaudibles.

Au nord-Cameroun, un changement profond s’est produit dans l’islam. Même si l’islam traditionnel et confrérique (surtout la Tijaniyya) reste important dans notre région, la montée en force de courants de réforme islamiste est évidente. Ces courants ont pris la direction et la représentativité de la communauté musulmane. Ce changement est surtout le fruit de l’influence des courants de réforme salafiste et de la Da’wa saoudienne et pakistanaise, fortement appuyés et financés par l’Arabie Saoudite et plus récemment par le Qatar. Le but de ces courants est de rénover, purifier et contrôler l’islam de notre région. Regardons de près ces deux courants.

Wahhabisme et Salafisme

Nous désignerons donc par « Wahhabisme » la tradition religieuse développée depuis le milieu du XVIIIe siècle par les oulémas de l’institution religieuse fondée par les héritiers de Muhammad Ibn Abd al-Wahhab (1703-1792), une institution qui, en retour, se considère comme la gardienne de cette tradition. L’une et l’autre entretiennent un rapport organique avec l’État saoudien, fondé en 1744 à la suite d’un pacte conclu entre Ibn Abd al-Wahhab et Muhammad Ibn Saʿud.

Le terme « wahhabisme » qui  existait depuis, lors du règne du roi Abd al-Aziz (1902-1953), son emploi est récusé par l’institution religieuse saoudienne, qui préfère désormais se désigner comme « salafiste ». Or la notion de « salafisme » désigne la pratique des salaf, les pieux ancêtres (c’est-à-dire, dans l’acception la plus répandue, les trois premières générations de musulmans).

Le salafisme prône :

  • le retour à l’islam des origines par l’imitation de la vie du Prophète, de ses compagnons et des deux générations suivantes ;
  • le respect aveugle de la sunna (tradition islamique, comprenant le Coran, les hadiths et la sira).

Il condamne :

  • toute interprétation théologique, en particulier par l’usage de la raison humaine, accusée d’éloigner le fidèle du message divin ;
  • toute piété populaire ou superstition, comme le culte des saints, jugé contraire à l’unicité de Dieu (tawhîd) ;
  • toute influence occidentale, comme le mode de vie et la société de consommation, mais également la démocratie et la laïcité.

N’oublions pas que l’islam Saoudien Salafiste (ou wahhabite), dont les bases théologiques sont à chercher chez Ibn Hanbal (IXe siecle) et Ibn Taymiyya (XIIIe siècle), véhicule une vision de la religion dogmatique, littéraliste, formaliste, puritaine et rétrograde.

 

 

 

Jama’at at-tabligh (Société pour la propagation de la Foi)

Jama’at at-tabligh a été fondée en 1927 par Muhammad Ilyas (1885-1944) en Inde dans la province de Mewat. Ce mouvement missionnaire, rigoriste et piétiste, a commencé à pénétrer le nord du Cameroun dans les années 1970, à partir du Tchad et du Nigeria voisins.

Les premiers groupes Tablighs, venus du sous-continent Indien et du Soudan, sont entrés dans le pays de manière officieuse, en traversant des frontières poreuses. Ils ont recruté des volontaires pour étudier la méthodologie du mouvement dans les bases de l’organisation (Inde et Pakistan).

Les premiers à effectuer ce voyage, des nordistes, ont établi à leur tour  le centre national des Tablighs à Maroua, dans le quartier de Dougoy, à partir duquel le mouvement à commencé à s’étendre vers le reste du territoire.

Si la JIC (Jeunesse Islamique du Cameroun) et la CAMSU (Cameroon Muslim Students Union), chargés de la prédication en milieu scolaire et universitaire, disposent aujourd’hui d’antennes dans tout le pays, le mouvement Tabligh s’est spécialisé dans la mission itinérante. Ils circulent à pied, en suivant le réseau des mosquées existantes, qui constituent pour eux à la fois des lieux d’hébergement, des tribunes de prédication et des lieux stratégiques à conquérir.

L’activité essentielle des Tablighs se structure autour du « Khuruj ». Le groupe qui « sort » entre dans la mosquée qu’il rencontre et s’y établit pour quelque temps. Avec l’autorisation de l’Imam ils y prêchent durant la journée et la soirée et y dorment la nuit. Ces sorties peuvent durer trois, dix, quarante jours ou quatre mois, selon les moyens financiers du groupe.

L’appel que le groupe Tabligh lance aux musulmans est non seulement de retrouver la voie du « vrai » islam et de s’y conformer dans la vie quotidienne, mais c’est aussi une invitation à s’engager tout de suite dans la da’wa. Les Tablighs ne se contentent pas seulement de passer dans les mosquées. Ils cherchent à les « convertir » et à étendre le réseau  des « mosquées de da’wa ». Chacune d’elles est un « centre » (markaz). À l’échelle du quartier, la mosquée de da’wa est un foyer de réislamisation de la communauté locale. Les « frères » font un soir par semaine du porte-à -porte dans le quartier pour rappeler aux musulmans leur « engagement ». Le groupe Tabligh organise aussi des « sorties » vers les mosquées voisines non encore « touchées ». Et parfois des sorties plus lointaines.

Le centre National, à Maroua, gère les déplacements à l’échelle du pays et au-delà. Il gère aussi la formation des Tablighs. Difficile à connaître avec précision mais il y aurait 40 mosquées de da’wa à Maroua. Des groupes Tabligh existeraient dans trente autres villes du nord au sud du pays.

Ce qui a préparé ce changement de l’islam de notre région a été d’abord le rétablissement des liens avec le monde arabe fait par le président Ahmadou Ahidjo (1960-1982). L’envoi d’étudiants chaque année plus nombreux principalement vers l’Arabie Saoudite, l’Egypte, le Niger, avec des bourses d’étude, ainsi que la réorganisation et l’aide au pèlerinage aux lieux saints de l’islam.  Au retour de ces étudiants formés dans la péninsule arabique, il est incontestable que leur enseignement dans les écoles franco-arabes et les madrasa qui ont connu une grande expansion à l’époque, est influencé par ce qu’ils ont appris en Arabie Saoudite. L’islam qu’ils ont véhiculé est de nature fondamentaliste, anti-confrérique, puritaine et hanbalite à bien des égards, bien que l’islam pratiqué dans la région soit  malikite.

Ensuite, le travail actif depuis 40 ans du courant salafiste et de la da’wa  a porté des fruits : pratique religieuse grandissante et meilleure connaissance de la religion, construction de mosquées avec un équipement moderne de sonorisation, réorganisation de l’enseignement islamique à travers les madrasa et les instituts islamiques avec l’appui d’une vaste littérature et des moyens audiovisuels, contrôle des moyens de communication (radio, TV), développement des œuvres sociales, dont la création de l’hôpital  privé islamique de Bamare à Maroua.

Enfin, lors de l’accession au pouvoir du Président Paul Biya, l’administration du nord tenue jusque-là quasi exclusivement par des musulmans devient de plus en plus laïque et tenue par des chrétiens. Les musulmans ont eu le sentiment de se voir dépossédés de leur pouvoir. On assiste alors à un retour vers l’islam qui devient comme une sorte de compensation de ce recul sur le plan politique.

Avant, durant l’époque coloniale, à la suite des mouvements de résistance islamiques dressés contre la conquête (surtout par la confrérie Mahdiyya), l’administration coloniale s’était efforcée de soutenir un islam de type traditionnel, d’empêcher l’arabisation et de surveiller et isoler l’islam local des influences extérieures jugées pernicieuses.

Dans notre survol à rebours, nous arrivons au temps de la diffusion des « confréries », les « Tarîqa », ce qui, en arabe, signifie le « chemin ». Elles sont venues surtout du Nigéria voisin. Elles ont joué et jouent encore  un rôle important dans l’islamisation en profondeur du peuple et  ont eu le mérite d’avoir mis à la portée de tous les pratiques spirituelles des grands courants mystiques de l’islam.  La « Tarîqa » est un simple chemin spirituel, assez large pour guider la vocation individuelle de la lettre de la shari’a vers la vie spirituelle authentique (haqîqa). Chemin spirituel rythmé par le dhikr (le souvenir, rappel de Dieu), le wird (litanies propres à chaque confrérie), les veillées nocturnes (tahajjud) et les jeûnes : des moyens de progresser dans la vie spirituelle et de se laisser « prendre » par Dieu. Toutes les confréries se rattachent à un fondateur qui a vécu une expérience spirituelle originale et dont on veut retrouver l’inspiration en imitant sa vie et sa doctrine.  La Qadiriyya, la plus ancienne, est présente à Yola mais aussi à Garoua et Ngaoundéré. La Tijaniyya  s’est répandue au caliphat de Sokoto (surtout avec al Hajj Umar) ainsi qu’à Garoua, Mindif, Maroua. La Mahdiyya ou mouvement Mahdiste a été apporté dans notre région par Moodibbo Hayaatu (Hayât ibn Sa’ad) arrière-petit-fils de Ousman Dan Fodio. Regardons de plus près chacune d’elles,

La Qadiriyya : Fondée par Abd al-Qâdir al-Jilânî originaire de Bagdad (1077-1166). C’est la première confrérie musulmane arrivée en Afrique subsaharienne. L’histoire de Qadiriyya est liée  avec la tribu nomade des « Kunta » dont un groupe a migré vers la zone du nord du fleuve Niger vers le XVIIe siècle. Le Saykh Ahmadou et Ousman Dan Fodio furent les principaux chefs fulbés qui ont propagé les normes de cette confrérie. Elle est entrée au Cameroun grâce au Jihad de Ousman Dan Fodio. Très conservatrice, tolérante, la Qadiriyya accepta l’ordre colonial et parfois servit les intérêts du colonisateur,

La Tijaniyya : Fondée par Ahmed al-Tijânî (1737-1818), précisément en 1781 à Ain al-Mahdi en Algérie. Elle s’est acquise une place dominante grâce au Jihad de al Hajj ‘Umar au milieu du XIXe siècle. Elle s’est répandue au Sénégal, à Sokoto, Bornou, puis au Cameroun. Confrérie tolérante, modérée, elle ne s’oppose à personne, elle s’est souvent soumise au pouvoir (quoiqu’ el Hajj ‘Umar résistera aux Français). De nos jours, la Tijaniyya est la confrérie la plus importante au Cameroun, surtout dans les provinces du Nord.

La Mahdiyya : Plus qu’une confrérie, le mouvement Mahdiste est une tendance mystique et eschatologique, une école de pensée fondée sur l’attente du messie (le mahdi). Selon leur doctrine, nous sommes entrés dans l’ère des tribulations (ce qui explique la colonisation, l’affaiblissement de l’islam, les conflits violents). Mais le Mahdi vient pour rétablir l’ordre et la justice et revitaliser la foi islamique.  Ayant quitté Sokoto, Hayaatu séjourna à Yola, puis à Maroua et Bogo, avant de s’installer en 1882 à Balda un village à une dizaine de kilomètres de Bogo. En 1883, il se rallia à Muhammad Ahmad qui s’était proclamé Mahdi au Soudan. Celui-ci nomma Hayaatu gouverneur pour le Caliphat de Sokoto. Les autorités du Caliphat de l’époque n’ont pas reconnu Muhammad Ahmad comme le Mahdi. Hayaatu entreprit des campagnes militaires contre les populations non-musulmanes des environs de Balda et établit ainsi un véritable “petit état”. Ceci créa des tensions avec le laamiido de Maroua et l’Emir de Yola. Ils attaquèrent Hayaatu et pillèrent Balda. En 1894, Hayaatu quitta Balda pour rejoindre Rabeh, qui se réclamait aussi du Mahdisme, à Dikwa au Bornou, état que Rabeh avait conquis en 1893. L’entente entre Rabeh et Hayaatu ne dura pas longtemps, et vers 1898 Hayaatu fut tué par Fataralah le fils ainé de Rabeh.

Le mahdisme a constitué une résistance farouche à la domination coloniale (allemande et française) au point de devenir « un problème politique de première importance » pour les colons. A l’époque, il était le mouvement le plus important auprès des mallum et des moodibbe de notre région. Aujourd’hui il a pratiquement disparue.

Dans notre survol à rebours, nous arrivons à un temps fort de l’islamisation de notre région : le « Jihad » mené par Ousman Dan Fodio (1754-1814) qui donna naissance au Caliphat de Sokoto. Il a été inspiré par le mouvement de Nâsir al-Dîn qui, en plein désert dans l’actuelle Mauritanie, avait fait une tentative de régler la vie politique et sociale selon les enseignements de la shari’a en instaurant une théocratie musulmane. Les premières « guerres saintes »  Peules constituent l’autre inspiration  de Dan Fodio. Elles eurent lieu au Fouta-Djalon en 1725 et au Fouta-Toro en 1776, et traduisent la même aspiration à un état fondé sur la shari’a et le recours au « jihad » comme moyen de prise du pouvoir et de réforme sociale et islamique. La région de Maroua appartenait au XVIIIe siècle aux Guiziga, qui faisaient partie du Royaume des Mandara, lui-même tributaire de l’Empire du Bornou. Cet empire héritier de l’empire du Kanem se développa autour du lac Tchad et devint musulman au XIe siècle atteignant son apogée au XVIIe siècle avant de connaître son déclin  sous la menace cumulée des révolutions internes et de la colonisation européenne. Ce royaume du Mandara fut fondé au XVIe siècle. Son islamisation, faite surtout par les Arabes Choa venus du nord-est, doit être située sous le règne de May Boukar qui était le vingt-cinquième roi du Mandara, sous le règne du roi du Bornou Dounama (1711-1726), autour de l’année 1715. Le Mandara reçoit l’islam “arabe” du Soudan oriental alors que les Fulbe furent les principaux propagateurs de l’islam “berbère”. Le Nord-Cameroun marque donc l’avancée extrême de l’islam “peul-berbère” face à l’islam “arabe” du Bornou et du Mandara . Ce courant occidental venu du Nigéria sera le plus déterminant  de la présence islamique dans la partie septentrionale du Cameroun.

 

 

Ce jihad de Ousman Dan Fodio a conféré à notre région ses structures d’organisation sociale et politique (les lamidats) et son souffle de réforme islamique, l’islam fournissant  aux Fulbé une justification de leur domination politique et économique. Jihad violent qui a véhiculé domination, injustices, exploitation et mépris qui restent encore inscrits dans le subconscient de beaucoup de peuples de notre région.

Si nous continuons notre voyage à rebours nous arrivons au XVe et XVIe siècle pour voir apparaître des promotions de nombreux lettrés musulmans africains (pensons à Tombouctou). Il est important de prendre conscience du fait que cette classe de la société constitue l’armature de la religion. La disparition de la classe des ‘ulama’ entraîne souvent un retour à la religion ethnique (le cas fut vécu à Tombouctou lors de l’invasion Marocaine en 1591). Avant 1600, l’islam subsaharien est, pour l’essentiel, une pratique d’élite, acceptant le compromis avec les cultes ancestraux de ses fidèles. Malgré l’islamisation de plusieurs siècles, l’Afrique subsaharienne était restée elle-même : elle n’avait perdu ni ses langues, ni ses coutumes ni son genre de vie. Cependant, de loin en loin, le recours au Jihad montrait qu’une autre voie était ouverte. Al-Maghîli, qui se fait le théoricien d’une rupture radicale entre ce qui est islamique et ce qui ne l’est pas, représente pour l’Afrique de l’Ouest l’un des signes avant-courreurs de ces mouvements de réforme militants qui marqueront les siècles suivants.

Nous pouvons finir ce petit survol à rebours en signalant que la première islamisation de l’Afrique sub-saharienne revient aux berbères ibadites qui au IXe siècle sont les premiers à constituer des réseaux commerciaux transsahariens. Mais par la suite l’islam sera quasi exclusivement sunnite-malikite avec la conquête Almoravide au XIe siècle. Mais cet islam, qui va pénétrer les empires du Takrur au Sénégal (1040), du Ghana (1076), du Gao et du Kanem (1067),  restera au niveau des cours royales et des élites urbaines sans pénétrer le monde rural.

Que dire après ce survol rapide ? Nous voyons que les tentatives d’établir un état islamique fondé sur la shari’a, le désir d’un islam pur, le retour au rêve de l’islam de Médine et de la théocratie fondée par le prophète de l’islam revient d’une manière récurrente. La réinterprétation des modèles islamiques du passé, surtout le modèle de réforme sociale et islamique lancé par Ousman Dan Fodio, le souvenir de cet événement, l’influence des écrits de ses auteurs, la légende que les entoure, maintiennent en vie un modèle qui retrouve aujourd’hui une grande vigueur, dans le climat de crise qui traverse notre société : modèle d’un islam réformiste mais qui a toujours un problème avec la diversité, même à l’intérieur de l’islam. Pourtant l’islam classique avait admis 4 écoles de droit, 4 interprétations différentes de la loi divine.

Aujourd’hui, nous vivons un de ces temps de réforme islamique d’une rare violence. Toutes les coalitions, actions policières ou interventions armées pour lutter contre les mouvements jihadistes qui nous menacent et menacent notre monde seront vaines si les musulmans eux-mêmes ne mènent pas une « bataille des idées », s’écartant de l’islam politique et de l’islam salafiste, piétiste et rigoriste, qui sont les racines de tous ces mouvements. Il faut qu’ils osent réinterpréter leurs textes fondateurs (Coran et Sunna) et aussi l’histoire fondatrice de l’islam. Il faudra des décennies de travail intellectuel pour renverser la domination de ces deux courants de pensée.

 

 

 

 

Les initiatives récentes du dialogue islamo-chrétien dans notre région :

 

Dans notre région la communauté musulmane n’a pas franchi la limite d’avoir un projet politique pour imposer une société islamique dans notre région. Ils se sont démarqués publiquement du groupe jihadiste de Boko haram, ce qui fait que dans les deux dernières années eux aussi ont subi de nombreuses violences de la part de Boko haram. C’est avec eux que nous portons cette souffrance.

C’est pour cette raison aussi que nos rencontres entre chrétiens et musulmans dans notre région n’ont fait qu’augmenter. Rencontres faites dans la sérénité et dans la franchise. Nous en donnons un aperçu ci-dessous :

 

Colloque interreligieux

Du 23 au 24 avril 2014, il a rassemblé 150 leaders religieux de toutes les confessions religieuses sur le thème : «Chrétiens et Musulmans ensemble pour la Paix. Fruits, défis et perspectives du dialogue interreligieux dans l’Extrême-Nord.»

Forum des jeunes

Il a rassemblé 450 Jeunes (1/3 de musulmans et 2/3 de chrétiens de diverses confessions), le 07 août 2014, sur le thème «Jeunes Musulmans et Chrétiens : Ensemble pour la paix et le développement.»  

Prière interreligieuse de Maroua

Elle a rassemblé environ 80 personnes, le 03 janvier 2015, autour des autorités religieuses catholiques, musulmanes, protestantes et orthodoxes de la région et en présence du représentant du gouverneur de l’Extrême-Nord.

Week-ends de formation dans le Mayo-Sava : Au cours de l’année 2014-2015 la zone Mayo Sava a mis sur pied une série de 5 week-ends interreligieux animés, à Tokombéré, par des équipes composées de catholiques, protestants et musulmans sur des thèmes d’intérêt général. Les quatre premiers week-ends ont rassemblé chacun une quarantaine de participants des différentes confessions.

Mise en place de l’ACADIR Extrême-Nord : L’Acadir (Association Camerounaise du Dialogue Interreligieux) qui existe au niveau national depuis  le 15 Novembre 2006, et dont le but est d’être une plate-forme de rencontre et de dialogue entre les religions d’une part, entre les religions et l’état d’autre part, en vue de promouvoir la paix, le respect et le progrès social du Cameroun. L’ACADIR se présente par ailleurs comme un organe de consultation pour tout ce qui concerne les aspects religieux et éthiques de la vie nationale. Le 16 Février 2015 nous avons mis sur pied le bureau de notre antenne régionale de l’Extrême-Nord (ACADIREN).

 

Mise en place de la Maison de la Rencontre : Ce  projet d’avoir un lieu permanent d’échange et de dialogue interreligieux à Maroua, qui date de quelques années, vient de  se concrétiser. Une maison est louée dans un quartier de la ville pour abriter un centre de documentation islamo-chrétien comprenant les principaux ouvrages classiques de l’Islam et du Christianisme. Il sera le siège de l’antenne régionale de l’Acadir et le lieu de toutes nos rencontres interreligieuses sans oublier les activités des jeunes.

 

Mise en place de l’antenne de Yagoua en Mars 2015 lors d’un colloque interreligieux.

Colloque à Maroua en Juin 2015 pour l’élaboration de la « Charte » de l’ACADIREN.

Colloque à Ngaoundéré et choix du bureau de l’antenne régionale de l’ACADIR de l’Adamaoua le 20-07-2016.

Forum interreligieux des Jeunes à Kaele le 03 et 04 Août 2016 (150 jeunes).

Installation du bureau de l’antenne régionale de l’Adamaoua à Ngaoundéré début septembre 2016.

Forum interreligieux des Jeunes à Kousseri (175 jeunes) le 04  et 05 Octobre 2016.

Au mois de novembre 2016 nous comptons ouvrir le centre de documentation islamo-chrétien qui se trouve dans notre Maison de la Rencontre avec un fonds de 400 livres sur l’islam, le christianisme et le dialogue islamo-chrétien.

 

 

Juan Antonio Ayanz  (Spiritain)

Ndjamena 17 Octobre 2016.